Exercice de délicatesse : Les Estampillages

Depuis quelques années, Elmyna Bouchard utilise une technique particulière pour former des images monochromes fondées sur une trame ou une structure, qu’elle regroupe sous le nom d’estampillages. Chacune d’elles, réalisée à l’aide d’une seule étampe de petit format conçu expressément se développe de l’intérieur vers l’extérieur autour d’un espace laissé vide qui devient orifice ou bien à partir du bord extérieur vers le centre. Les modulations de la trame varient selon le rythme et le resserrement du même motif estampillé à la main dans un geste qui se répète des milliers de fois. La figure ainsi constituée recouvre parfois entièrement le support, mais le plus souvent s’en détache, surtout lorsqu’elle s’articule autour d’un ou plusieurs orifices. Variant subtilement d’une œuvre à l’autre, la qualité fluide de l’encre – entre gris anthracite et bleu foncé –  est le fruit d’une longue expérimentation. Les titres des œuvres qui réfèrent souvent à l’idée de fabrication (« Construction de sol ») ou intiment une action (« J’ajourerai, tu ajoureras,… ; « Revêtir sa résistance») rappellent le lien étroit entre la parole humaine et la trame. La série Géométrie festive traduit carrément l’intérêt de l’artiste pour la forme abstraite qui, de son aveu même, l’emporte alors même qu’elle s’inspire d’un objet familier reconnaissable (un tapis de maison, un vêtement aimé, un masque). Cette conjonction du travail minutieux et des formes élémentaires évoquant des objets utilitaires primitifs pousse maints observateurs à parler d’intimisme à propos de son oeuvre. Parler d’intériorité serait plus juste. Pratiqués comme une méditation où le monde se remet en place, les patients estampillages font écho aux activités extérieures de l’artiste : les ateliers d’art où elle accompagne des personnes aux prises avec un problème de santé mentale suscitent des questionnements sur la production de l’art et sur la précarité qui entrent en résonance avec ses propres recherches, mais les nourrissent aussi. La trame qu’elle décline sans craindre la référence à la fonction utilitaire, donc à l’artisanat, est aussi celle qui est la base de maintes explorations de peintres abstraits (de Mondrian à Agnes Martin), de sorte que notre œil/notre esprit oscille en permanence entre l’appréciation utilitariste de l’objet et ses possibilités esthétiques infinies.

Marine Van Hoof